Le
mardi 5 novembre, de 14h15 à 17h15, le chanteur Jann Halexander était
invité par le pianiste enseignant Pascal Pistone à l'université Michel
de Montaigne Bordeaux 3 à donner une masterclass aux étudiant(e)s de la
Licence Chanson d'Expression Française . Compte-rendu ci-dessous des
propos de l'artiste sur la notion d'inspiration (thématique de la
masterclass).
La notion d'inspiration
Par Jann Halexander, chanteur
Bonjour, je me présente, je suis le chanteur Jann Halexander. La thématique de ce cours, c'est comment trouver l'inspiration.
Alors voilà ce que dit wikipédia au sujet de l'inspiration, dans le cas des artistes :
Étymologiquement,
"inspiration" vient du latin in spiritum, qui signifie littéralement
"avoir Dieu en soi". Ainsi, une doxa largement répandue durant
l'Antiquité voulait que l'inspiration artistique émane de Dieu.
Une inspiration est une idée qui vient du plus profond de nous. Mais
parfois, quelqu'un ou quelque chose peut inspirer une nouvelle idée.
Enfin, on peut dire que l'on s'inspire de quelque chose d'existant pour
ne pas dire que l'on a simplement copié une partie ou l'intégralité de
l' oeuvre. Toutefois, lorsque cette copie est personnalisée, il est
difficile de savoir quand cela donne une nouvelle œuvre.
Je
remercie Pascal Pistone, enseignant de musicologie de l'université de
Bordeaux de m'avoir invité ce mardi 5 novembre. Afin d'entrer dans le
vif du sujet, je voudrais évoquer ces mots du chanteur Guy Béart qui
expliquait à l'animateur Bernard Pivot, dans l'émission Apostrophes, en
1985 qu'il n'avait aucun souci pour créer une chanson, que c'était une
idée toute faite qui coulait comme ça, limpide, évidente, il y avait
juste à cueillir les mots, les coucher sur papier, les chanter. Les
autres invités de l'émission, Anne Sylvestre, Pierre Perret, Maxime Le
Forestier ne semblaient pas aussi convaincus. Pour certains, certaines,
ni ces noms que je cite, ni le mien sans doute, évoquent quelque chose,
la France est un grand pays avec des millions d'habitants, il y a
beaucoup d'artistes, dont les publics ne se mélangent pas forcément, il y
a parfois aussi les différences de générations. Je ne pense pas que
vous me connaissiez, cela dit je ne vous connais pas non plus et c'est
donc l'occasion de faire connaissance, puisque nous sommes réunis ici
par notre attrait pour la Chanson.
J'ai
commencé à Angers, en 2003, au cabaret l'Autrement Café, qui n'existe
plus maintenant. Plus jeune je ne me destinais pas franchement à la
chanson, mais plutôt au dessin ou à l'écriture. Ma mère m'a appris le
piano, j'avais 7 ans, à Libreville, au Gabon, où je suis né, en 1982.
J'aimais composer des musiques, mais pas forcément des chansons. J'ai
créé quelques textes, un peu influencés par Mylene Farmer. Pour les
musiques, j'étais très inspiré par William Sheller. J'ai suivi des
études de géographie à Angers, la ville de ma famille maternelle, une
partie, disons, puis après la maîtrise, j'ai souhaité faire quelque
chose sans rapport avec cette matière. J'avais été assez dégoûté par le
milieu universitaire qui ressemblait à un panier de crabes.
J'ai
un moment eu le désir de travailler dans les pompes funèbres, mais pour
des raisons personnelles, cela ne s'est pas fait. L'idée de chanter
s'est imposée à moi très vite. J'ai sorti une première chanson, Alien
Mother, en décembre 2003, puis un 3 titres, L'Ombre Mauve en septembre
2004. J'ai travaillé à côté, dans un lycée, comme assistant d'éducation,
le lycée Chevrollier, à Angers, à temps partiel, puis à Paris comme
prestataire pour une société de télécommunications. Puis à partir de
novembre 2008, je n'ai fait que ça, il a fallu faire un choix car je
risquais vraiment le surmenage. Et puis des soucis personnels sans
rapport direct avec l'art m'ont plongé dans état dépressif. C'est mon
entourage qui m'a encouragé à quitter mon travail. Toutefois, j'ai
travaillé à temps partiel en 2011, et pas très longtemps, à Paris, sans
conviction, si on additionne les jours, ça fait même pas deux mois.
C'était plus une perte de temps qu'autre chose. Disons qu'il a fallu du
temps pour que j'accepte l'idée d'être artiste. La vie d'artiste, en
France ou ailleurs, est objet de nombreux fantasmes, de malentendus,
d'idées reçues. Je devrais même dire les vies des artistes, tant les
conditions sont différentes d'un artiste à l'autre, il y a des aléas qui
influent sur le parcours d'un chanteur, il y a le public, des
relations, parfois, je t'aime moi non plus, avec le public. Les hauts,
les bas. L'entourage joue un rôle crucial, parfois moral, parfois
financier, parfois les deux. Mais la plus grande difficulté c'est
soi-même, s'accepter soi-même, accepter ou non l'idée de continuer à
chanter, créer des chansons. A laisser vibrer la flamme en nous ou la
laisser s'éteindre. Finalement, à qui doit-on rendre des comptes en tant
que chanteur ? Aux autres ? A la famille ? A la société ? A soi-même ?
C'est une question assez délicate. Je n'ai pas de réponse toute faite.
Ce que je sais, c'est que j'aime apporter du divertissement, de
l'évasion aux gens, comme j'aime que d'autres personnes me fassent
rêver, que l'on m'ouvre de nouveaux horizons.
Mais
il est vrai que la flamme créatrice est un mystère. C'est elle qui
donne tout son sens à notre destinée artistique. Comment vient-elle ?
Comment peut-on l'entretenir ? Est-ce naturel ou est-ce que ça se
travaille ? Dans nos années 2000, le coup de la feuille blanche et du
stylo est un peu suranné. Beaucoup de créateurs jettent leurs mots sur
ordinateur, sur téléphone portable en mode brouillon. Mais ça c'est à
l'appréciation de chacun.
De
quoi parler ? Il y a une phrase souvent citée par les auteurs de
textes : tout a été dit mais pas par moi. Je dois bien avouer que j'ai
beaucoup de mal avec cette phrase. D'abord tout n'a pas été dit, ce
n'est pas vrai. Je dis souvent en rigolant qu'être métis, bi, et myope,
comme c'est mon cas, et de voir comment finalement on s'insère, ainsi,
dans la société autour, c'est très efficace pour avoir des idées, en
faire des vers, les chanter. Mais bon je vous rassure, hein, pas besoin
d'être nécessairement métis, bi et myope pour avoir l'inspiration.
Personnellement j'en ai fait un atout, une façon de me démarquer, avec
les risques que cela comporte puisque le milieu artistique est à l'image
de la société. Il n'est ni plus ouvert ni plus fermé, il y a des
courants assez ouverts mais aussi des courants complètement
réactionnaires. Mais il s'est mis en place une sorte de cercle vertueux
puisque ce que je suis a déterminé beaucoup de chansons qui ont
contribué à m'accepter pleinement et ...m'imposer, je ne sais pas si
c'est le mot, en tout cas montrer que j'existais, qu'on pouvait être
comme je suis et exister, sans honte, sans se conformer à un modèle
dominant. Ce n'est pas sans risques évidemment.
Mais
j'ai voulu très tôt parler aussi bien de métissage, de racisme, du fait
d'avoir des parents d'origines différentes, du Gabon, de la France, de
la famille, de certaines fréquentations, de l'Amour dans toutes ses
formes. Il y avait comme une urgence pour moi. Peut-être cela paraît
banal maintenant, mais je vous parle d'une certaine époque, où prendre
certains sujets à bras le corps, ce n'était pas si évident. C' était il y
a 10 ans, c'est à la fois peu...et beaucoup. En 10 ans il se passe
beaucoup de choses, énormément de choses. En 10 ans, pêle-mêle, Obama
été élu, Mickael Jackson nous a quitté, il y a eu la guerre en
Afghanistan, le désastre de Fukushima, les socialistes sont revenus au
pouvoir en France, il y a tout un tas d'avancées technologiques diverses
assez fulgurantes, un accès toujours plus généralisé à internet qui
devient un média incontournable, des changements conséquents y compris
dans le secteur artistique, sous l'effet de la 'fameuse' crise, des
nouveaux métiers sont apparus, des nouvelles façons d'envisager la
consommations sont apparues, se pérennisent, le mariage pour tous a été
voté, acté, dans l'hexagone, les séries télé sont plus représentatives
de la société française, voilà, tout passe vite, change vite, et
certaines choses qui semblaient subversives il y a encore peu de temps
le sont un peu moins maintenant. Je reviens sur cette phrase un peu trop
courante à ce jour, tout a été dit mais pas par moi. J'écris et je
compose des textes certes mais j'interprète aussi les chansons des
autres, que j'intègre dans mes tours de chant. Par exemple, même si je
voulais parler du destin d'un sans domicile fixe, je ne le ferais pas,
parce que Romain Didier, Allain Leprest, Anne Sylvestre ou Clémence
Savelli ont déjà abordé avec brio le sujet. Du coup si je souhaite
parler de ce sujet, je privilégie l'interprétation d'une chanson du
répertoire francophone, il y a plein de chansons, magnifiques, pas
forcément de chanteurs morts, sur des thèmes très variés. On peut puiser
là-dedans. Créer pour créer, ce n'est pas ce que je souhaite. Peut-être
ai-je une vision utilitaire, peut-être que je reviendrais là-dessus
dans quelques années, que j'aurais une position différente. Les
chansons, je les crée essentiellement pour les gens, A Table, par
exemple, des milliers de gens l'ont écouté, apprécié ou pas, mais c'est
ce que je cherche, l'interaction, sinon je serais un chanteur de salle
de bain. Je recherche l'interaction par le disque et surtout la scène.
Mais
ce ne serait pas tout à fait vrai si je vous disais que je m'inspire
uniquement de ce que je vois, de ce que j'entends, de ce que je lis, de
la vie autour de moi. J'accorde beaucoup de confiance aux rêves,
notamment la nuit et un nombre assez important de mes chansons,
d'images, aussi bien les musiques que les mots, viennent des rêves. La
vie d'artiste, avec ses doutes, ses joies est aussi un très bon sujet
d'inspiration pour moi. Certains textes s'imposent d'eux-mêmes,
d'autres, et bien j'y travaille, péniblement. Il m'arrive d'avoir des
idées mais je n'ai pas d'angle d'approche, je suis un peu dans l'attente
d'un déblocage, ce moment où tout d'un coup l'idée se déploie pour
devenir chanson. Des fois le rêve peut y aider, des fois non. Je
souhaiterai créer un texte sur l'altérité extrême, à travers le sujet
des Aliens, mais je n'avance pas, je suis bloqué depuis 4 ans. En
novembre 2011, j'ai chanté dans le nord de la France, dans de très
bonnes conditions, accueilli par l'équipe municipale, hôtel 3 étoiles,
restaurants 3 étoiles, il y avait quelque chose d'irréel car cela ne
m'arrive pas tous les jours et je voulais en parler dans une chanson,
pareil je n'y arrive pas. Il y a aussi des textes que j'ai écrit mais
que je ne 'sens' pas. Ils sont dans des classeurs depuis des années,
certains sont déposés à la sacem mais le cœur n'y est pas. Idéalement,
je me dis qu'un interprète les défendrait mieux que moi. J'ai quelques
chansons qui ont été interprétées par d'autres artistes, pour moi, c'est
vraiment une forme de consécration.
Au
début je ne voulais faire idéalement que de grandes chansons. Mais je
suis un artiste de scène, et le public ne tient pas forcément le coup si
on n'allonge que des grandes chansons avec des grands textes. De temps
en temps, une chanson plus légère, une chanson plus simple, une
chansonnette même, permet de faire une pause qui est bienvenue. Pour le
public, pour soi aussi. Histoire de respirer un peu.
Je
ne suis qu'un chanteur parmi d'autres, avec ses hauts, ses bas, mais je
suis ravi de partager cette expérience avec des personnes qui
projettent d'en faire un métier, ou du moins quelque chose de
fondamental dans leur vie. Les chanteurs sont souvent isolés les uns des
autres, je ne sais pas si c'est forcément bien. Alors certes on ne peut
pas s'entendre avec tout le monde, ce n'est pas parce que quelqu'un est
chanteur que je vais m'entendre avec lui, mais il arrive parfois qu'il y
ait des affinités et on se sent moins seul, car la destinée d'artiste
c'est quand même quelque chose d'incommunicable.
Personnellement, je considère que la vie est courte, et même si je suis
agnostique, je ne suis pas très disposé à croire en une vie après la
mort, combien même il y en aurait une, je l'imagine brumeuse,
évanescente, c'est pourquoi j'accorde une grande importance à l'instant
présent. Des fois je me pose pour réfléchir au passé, mais sans cultiver
la nostalgie, je songe au futur sans trop m'inquiéter, enfin parfois il
m'arrive de m'inquiéter, mais de toute façon, je me rends bien compte
que cela ne sert à rien. Vous voyez le cours a démarré à 14h15, c'est
déjà du passé. C'est une belle façon de constater à quel point le temps
passe vite. J'essaye d''être intemporel dans ce que je crée. Je préfère
être un never been qu'un has been, avoir été et ne plus être, c'est
terrible et j'ai connu des artistes qui en ont véritablement souffert,
parce qu'on est souvent à la merci de notre ego, on a du mal à prendre
du recul. Les chutes, les désillusions, les humiliations, parce qu'il y
en a peuvent être violentes.
Je
ne suis pas sûr qu'on puisse proposer une façon de trouver
l'inspiration. Mais un bon début, c'est déjà se connaître un peu
soi-même. Qu'est-ce qui nous fait vibrer ? Qu'est-ce qui nous
transporte ? Que désire t-on partager ? Que ne souhaite t-on pas
partager ? Certains choisissent une certaine forme d'impudeur, c'est mon
cas, d'autres cadenassent tout en pensant que le plus intime sera
sauvegardé, ce qui n'est pas toujours vrai d'ailleurs. Plus on se livre
et plus on peut devenir opaque pour ceux et celles qui nous écoutent, ça
peut ajouter à la fascination.
On
peut chanter sur tout. On peut chanter l'annuaire téléphonique, le mode
d'emploi de sa clé 3G, son découvert à la banque, un acte de propriété,
un contrat de location. Si on se laisse vraiment aller, on peut écrire
une comédie musicale de 5 heures sur un lave-vaisselle qui ne marche
pas, par exemple. On peut broder sur la bataille entre Copé et Fillon,
ça peut être un sujet de chanson. Mais on peut aussi avoir peur de
parler de certains sujets, rester dans du plus consensuel. L'amour,
c'est le thème numéro 1. Mais de quel amour parle t-on, là encore c'est
vaste.
Si
on doit rechercher l'inspiration, il faut peut-être réfléchir sur soi.
Qui je suis ? Tester aussi différentes ambiances. Personnellement,
j'adore lire dans les WC et j'ai écrit de nombreuses chansons dans les
trains. J'ai beaucoup de mal à écrire dans une brasserie, par contre
dans un macdo, ça marche...je n'ai jamais écrit quoique ce soit dans un
lieu de concert, de répétitions musicales par exemple, je n'y arrive
pas. Dans un avion, c'est même pas la peine, je suis dans un état
légumineux, pareil en bateau. Le lieu a beaucoup d'influence. L'heure
aussi. Certains trouvent plus facilement l'inspiration lorsque l'aube se
lève, d'autres sont plutôt nuit, d'autres encore ne peuvent produire
quelque chose qu'entre midi et 2. Mais déjà savoir quand et où on est
capable de créer c'est un pas en avant. Il ne faut pas forcément se fier
à l'image d'épinal, genre le poète qui compose au pied d'un arbre ou
dans un manoir. C'est parfois en voulant coller à ce genre d'image que
ça foire. On peut être encore plus pragmatique. Est-on plutôt du genre à
créer avant de manger, ou juste après ? Certains trouvent l'inspiration
en nageant ou en faisant du jogging. On peut aussi accepter l'idée, que
quand ça ne vient pas...et bien ça ne vient pas. On peut même fournir
une chanson sur le fait qu'on ne trouve pas de chanson.
Si
vraiment il faut fournir quelque chose, on peut utiliser des
subterfuges. Quand j'étais plus jeune, il y avait un jeu qui consistait à
reprendre une fable de la fontaine, par exemple le corbeau et le
renard, ouvrir le dictionnaire, voir quel mot il y avait juste après
corbeau, quel mot juste après renard et ainsi de suite, et ça donnait
une nouvelle fable, pas forcément logique, mais en tout cas surprenante.
D'ailleurs, écrire selon une logique n'est pas une obligation, écrire
en vers, en rimes non plus. Mais je crois sincèrement que la clé de
l'inspiration réside dans le fait de se connaître soi-même, s'accepter.
De là, découle notre positionnement dans le monde et ça a une très
grande influence sur la création.
Les échanges sont importants, je suis là pour répondre à toutes vos questions.
Des
échanges intéressants ont eu lieu entre l'artiste et les étudiants. Le
mardi soir, Jann Halexander donnait un concert dans la belle cave voûtée
du Chat Gourmand, dans le centre de Bordeaux.
Label T.H